Les fins de guerre sont toujours propices à la maturation des esprits et aux évolutions sociales, elles sont des ruptures entre le monde d’avant qui a amené au conflit et le monde d’après du « plus jamais ça ». Le 8 mai 1945 a donné naissance, en France, à une politique de gauche inspirée de la philosophie progressiste du Conseil National de la Résistance et des aspirations communistes. Le Front populaire avait tracé la voie : baisse du temps de travail à 40 h hebdomadaire, deux semaines de congés payées, hausse de 12% des salaires, allocations chômage… Le Gouvernement provisoire ajoutera la Sécurité-sociale, les allocations familiales, le vote des femmes… Mais c’est surtout dans les esprits qu’il faut lire le plus grand bouleversement. Le travail, l’éducation, le rôle social des femmes, la place des vieux, la colonisation, l’économie, la guerre… dans tous les domaines, les conceptions qui primaient avant le conflit se sont affaissées pour donner de l’espace aux innovations. La technologie bien sûr a changé, le commerce, les modes de production mais aussi les relations humaines, y compris sentimentales. Le rapport au vivant n’est plus le même et le regard que l’on porte aux Dieux créateurs s’est modifié. Toute guerre s’achève sur une maturité des consciences et une émancipation des individus comme la vague sur la plage se termine en écume.
Puisque notre président a situé la crise du coronavirus dans le registre de la guerre, nous pouvons légitimement penser sa fin comme une sortie de guerre. Qu’auront appris les consciences de cette tourmente existentielle ?
Sur le plan purement médical, l’ancien monde a imposé une démarche d’innovation qui n’a pas fonctionné face à l’épidémie. Alors qu’il était tout à fait possible de soigner les malades avec des médicaments déjà existants et à faible coût, les dirigeants ont choisi la fuite en avant technologique. La recherche d’une nouvelle molécule (dont l’inventeur serait le seul dépositaire, avec tout le pouvoir et tout l’argent pressenti) a été préférée à celle d’un dépistage de masse et d’un soin systématique par la chloroquine (ce qui n’aurait donné aucun pouvoir à personne et ni enrichi personne). Cette attitude qui est la marque, on ne peut moins emblématique, du libéralisme veut que toute richesse naisse d’une innovation.
Sur le plan économique, la crise nous a montré combien nos entreprises, de la plus importante à la plus microscopique dépendaient de l’approvisionnement étranger. Un simple virus, certes virulent mais pas plus mortel à l’échelle de la planète que les suicides, a pu ainsi mettre à mal tous les secteurs de l’économie. Nombre de sociétés jusque là bien portantes et rentables vont bêtement faire faillite après quelques semaines seulement de blocage. Évidemment, plus une économie est tendue, inter-dépendante et sans ressources propres, plus elle est fragile et capable de s’effondrer comme un château de cartes. Là encore, nous sommes dans le libéralisme absolu qui veut que toute activité humaine soit un marché et rien qu’un marché. Songeons alors à ce que serait devenu ce monde interdépendant si le virus avait tué comme la peste bubonique ou la grippe aviaire…
https://fr.statista.com/statistiques/1101676/mortalite-maladies-virus-bacteries/
Sur le plan politique, le désastre n’est pas moins grand. Le gouvernement, isolé dans son donjon, entouré d’une poignée d’experts engoncés dans des pratiques dogmatiques consciencieusement apprises dans les plus prestigieuses universités du monde, celles précisément qui forment les cadres de nos sociétés modernes et donc les responsables politiques, le gouvernement donc se retrouve incapable de comprendre la réalité quotidienne des ses concitoyens. Il ignore les petits boulots, la misère, les équilibres précaires des PME, les nécessités de base d’une population majoritairement fragile, les besoins de soins, l’importance des déplacements, l’effondrement écologique, le prix de choses… Il ignore tout parce qu’il se fie à des amphitryons qui ne rapportent que des moyennes, des statistiques globales, des principes généraux, des nombres… rien qui ne décrit réellement la vie des gens.
Sur le plan social, la crise va se solder par un tsunami de licenciements (ceux des faillites et ceux conjoncturels des entreprises qui vont profiter de la situation pour « faire le ménage »), par une paupérisation des pauvres qui voient s’évaporer leur appoint de débrouillardise, un enrichissement des riches qui recentrent leurs investissements sur les nécessités les plus urgentes, un durcissement des conditions de travail et une complexification de la vie domestique. Les institutions publiques battent de l’aile, les 35 heures sont bannies, les congés payées remises aux calendes grecques… demain, les hôpitaux recouvriront leur solitude et le pétrole se remettra à flamber.
Flux tendus, hiérarchies, inégalités de richesse, contrôle des savoirs, féodalisation du monde… Tout ce qui compose l’identité du capitalisme, même repeint à la couleur d’un néolibéralisme salvateur, va partir en vrille. Comme en 2008, la chute sera brutale. Mais, en cette période de recentrement sur soi, chacun peut comprendre que la santé doit être un bien commun gérée par la collectivité ; que la production doit être locale, de proximité, artisanale et modulaire ; qu’aucune décision ne peut être prise sans débat ou être l’œuvre d’une seule tribu ; que l’instruction doit être l’affaire de tous dans un effort commun, solidaire et permanent ; le progrès social est l’objectif immuable et premier de toute humanité et que ce progrès doit se traduire par davantage de loisirs, moins de travail imposé, moins de tracasseries administratives, plus de liberté et une solidarité continue envers les plus démunis.
Toutes ces choses sont sues, elles ont été maintes fois dites et redites. Que ceux qui les ignorent encore relisent les livres de D.Bordon, l’Education assistée à domicile ou l’Abolition de la Richesse individuelle par exemple, et les promeuvent. Ces choses mériteraient d’être comprises une bonne fois pour toutes, adoptées définitivement et surtout mises en œuvre par ceux qui se revendiquent de la Gauche sociale et écologique. La sortie de guerre est l’occasion de cette renaissance, ne la ratons pas !