Humanitude
Une goutte tombe sur la foule
Du sein des insensés.
Une voûte s’écroule sous les bombes
Des censeurs encensés.
Une tombe s’écoule sur la route
Du sang des assassins.
Et dans la nuit des certitudes
L’Homme relève la tête, espoir odieux,
Les yeux dans les étoiles, appelle aux dieux.
La planète dévoile son haut degré d’humanitude.
Un cri s’étrangle au fond d’un puits
Creusé de mains putrides,
Un bruit s’enfuit d’un tas de sangles
Demain usées de plis trop rudes,
Un angle fuit dans les débris
De maintes ruses aux fruits arides.
Et dans la nuit des habitudes
L’Homme relève le bras, au sacrifice
Des fils déçus. Le maléfice…
Le Rat déchu meurt de peu d’humanitude.
Une larme brille sur le visage
Radieux d’une fille en pleurs,
Les armes du Sage scintillent
Aux grilles du Dieu malheur,
L’usage s’alarme. On le fusille.
Il meurt. Adieu Bastille !
Mais dans la nuit décrépitude
L’Homme avance tout droit, dans l’ombre
Sombre de l’évolution… et sombre
Le droit révolu des rois privés d’humanitude.
Boris Nadov
Basseville
Basseville,
J’aimais m’envoler dans tes rues de lumières,
J’aimais marcher sur tes pavés de poussières,
J’aimais le silence qui berçait mes sommeils,
J’aimais ta fontaine d’où coulait le soleil.
Basseville,
Je sais que le temps à l’intérieur te ronge,
Je sais que le progrès n’est qu’un long mensonge,
Je sais que pustules poussent sur ta peau,
Je sais que plus jamais tu n’auras de repos.
Basseville,
Je vois chaque jour tomber tes murs en ruine,
Je vois chaque nuit les ombres de ta mine,
Je vois tes hommes se dessécher et partir,
Je vois ton cœur tremblant s’arrêter et mourir.
Basseville,
Pourquoi faut-il que tout aille toujours plus vite ?
Pourquoi l’amour et la vie sont-ils en fuite ?
Pourquoi soudain tant de misère et tant de bruit ?
Pourquoi soudain plus de parole et plus de cri ?
Basseville,
Tu meurs sans larme loin de ton passé glorieux,
Tu meurs parce que ton sang a vidé les lieux,
Tu meurs parce que personne ne veut plus vivre,
Tu meurs oubliée, ton âme est un vieux livre.
Basseville,
Tu restes dans ma mémoire un éclair de vie,
Tu restes maintenant un royaume asservi,
Tu restes comme un squelette au milieu du désert,
Tu restes une élégie perdue de Tannhäuser.
Et je pleure ce matin sur le pas de ma porte
D’entendre frémir et gémir tes maisons,
Car le vent, celui qui un peu chaque jour emporte,
Le vent de l’argent se lève encore à l’horizon.
Basseville.
Boris Nadov
Consommation
Quand les écrans auront envahi nos maisons,
Quand les autos parleront et qu’elles auront raison,
Quand les frigos partout cracheront leurs glaçons,
Quand les radios discuteront sans nous et sans façon,
Le monde sera bien meilleur. Délivrés de l’Histoire,
Nous connaîtrons ensemble la fin de nos déboires,
Et la relance de la consommation.
Nos vies en vidéo,
Émus d’émotions programmées,
Nous serons libres.
Libres d’oublier enfin
Le bruit des bombes islamistes dans un monde d’hystériques,
Et notre rêve d’Humanité…
Quand les TV auront étalé leur Gazon,
Quand les WC sentiront l’éternelle frondaison,
Quand les CD partout glousseront LA chanson,
Quand les PC nous nourriront, méprisant les moissons,
Le monde ira vers le bonheur. Délivrés de l’Histoire,
Nous connaîtrons ensemble le goût de la victoire,
La croissance et la surproduction.
Irréelles rêveries,
Iles aux palmes ensoleillées,
Nous serons libres.
Libres d’oublier enfin
Les affamés ensevelis sous des tonnes de poubelles,
Et notre rêve d’Humanité…
Quand nos veines auront chassé le frisson,
Quand nos peines pèseront comme autant de prisons,
Quand nos chaînes partout sonneront l’oraison,
Quand les haines apparaîtront au-delà des passions,
Le monde ne sera plus qu’un leurre. Délestés de mémoire,
Nous connaîtrons ensemble le prix du purgatoire,
L’abondance et la putréfaction.
Gavés d’ignorance,
Les mains vides de création,
Nous serons libres.
Libres de mourir enfin,
Seuls, immolés de souffrances et pleurant la planète,
Et notre rêve d’Humanité…
Boris Nadov
Les chemins de Basseville – Poèmes de Boris Nadov (1969-1992)